EUCHARISTIE, RÉCONCILIATION ET DIVORCÉS REMARIÉS par le cardinal Scola, archevêque de Milan

EUCHARISTIE, RÉCONCILIATION ET DIVORCÉS REMARIÉS

Le texte intégral de l’article du cardinal Scola publié dans "Communio" et, en français, dans la "Nouvelle Revue Théologique" :
par Angelo Cardinal Scola, archevêque de Milan


[…] Ce que j’ai dit jusqu’à maintenant doit être gardé présent à l’esprit lorsque l’on traite des sujets délicats qui comportent une souffrance particulière, comme la question des divorcés remariés. Les personnes qui, après un échec de leur vie conjugale en commun, ont établi un nouveau lien se voient interdire l'accès au sacrement de la réconciliation et à celui de l’eucharistie.

Bien souvent les gens qui accusent l’Église de manquer de sensibilité et de compréhension en ce qui concerne le phénomène des divorcés remariés n’ont pas réfléchi attentivement aux raisons de la position qu’elle a prise, position que l’Église sait être fondée sur la révélation divine. Cependant il s’agit ici non pas d’une action arbitraire du magistère de l’Église, mais plutôt de la conscience du lien indissoluble qui unit l’eucharistie et le mariage.


À la lumière de cette relation intrinsèque, il est nécessaire de dire que ce qui empêche l'accès à la réconciliation sacramentelle et à l’eucharistie, ce n’est pas un péché unique, qui peut toujours être pardonné lorsque la personne se repent et demande pardon à Dieu. Ce qui rend l'accès à ces sacrements impossible, c’est plutôt l’état, la condition de vie, où se trouvent ceux qui ont établi un nouveau lien : un état qui, en lui-même, est en contradiction avec ce que signifie le lien entre l’eucharistie et le mariage.

C’est cette condition de vie qui doit être modifiée pour qu’elle puisse correspondre à ce qui est réalisé dans ces deux sacrements. Le fait que ces personnes ne soient pas admises à la communion eucharistique les invite, sans nier les douleurs et les blessures qu’elles subissent, à se mettre en route vers une pleine communion qui se réalisera au moment et sous la forme qui seront déterminés à la lumière de la volonté de Dieu.

Au-delà des diverses interprétations de la pratique de l’Église primitive, qui ne paraissent toujours pas avoir prouvé qu’il y avait alors des comportements substantiellement différents de ce qui existe actuellement, le fait que cette pratique ait développé de plus en plus la conscience du lien fondamental entre l’eucharistie et le mariage manifeste l’aboutissement d’un parcours accompli sous la direction du Saint-Esprit, un peu à la manière dont tous les sacrements de l’Église et leur discipline ont pris forme au fil du temps.

Dès lors on comprend pourquoi les exhortations apostoliques "Familiaris consortio" et "Sacramentum caritatis" ont confirmé "la pratique de l’Église, fondée sur la Sainte Écriture (cf. Mc 10, 2-12), de ne pas admettre aux sacrements les divorcés remariés, parce que leur état et leur condition de vie contredisent objectivement l'union d’amour entre le Christ et l’Église qui est signifiée et mise en œuvre dans l'eucharistie" (SC, 29).

Dans cette perspective, nous devons souligner deux éléments qu’il est nécessaire d’étudier de manière plus approfondie. Il est certain que l’eucharistie, dans des situations déterminées, comporte un aspect de pardon ; cependant elle n’est pas un sacrement de guérison. La grâce du mystère eucharistique réalise l'unité de l’Église en tant qu’Épouse et Corps du Christ, et cela demande qu’il y ait dans la personne qui reçoit la communion sacramentelle la possibilité objective de se laisser incorporer parfaitement à Jésus-Christ.

En même temps nous devons expliquer de manière beaucoup plus claire pourquoi le fait que ceux qui ont contracté un nouveau mariage ne sont pas admis aux sacrements de la réconciliation et de l’eucharistie doit être considéré non pas comme une "punition" pour leur condition de vie, mais plutôt comme un signe qui indique le chemin pour un parcours possible, avec l’aide de la grâce de Dieu et l'immanence dans la communauté ecclésiale. Pour cette raison et pour le bien de tous les fidèles, toute communauté ecclésiale est appelée à mettre en œuvre tous les programmes appropriés pour que ces personnes participent effectivement à la vie de l’Église, dans le respect de leur situation concrète.

Formes de participation à l'économie sacramentelle

La vie de ces fidèles ne cesse pas d’être une vie appelée à la sainteté. De ce point de vue, certains gestes que la spiritualité traditionnelle a recommandés comme un soutien pour ceux qui se trouvent dans des situations qui ne permettent pas de s’approcher des sacrements sont extrêmement précieux.

En disant cela, je me réfère avant tout à la valeur de la communion spirituelle, c’est-à-dire de la pratique qui consiste à communiquer avec le Christ eucharistique par la prière, à lui offrir le désir que l’on a de son Corps et de son Sang, ainsi que la souffrance due à ce qui empêche la réalisation de ce désir.

Ce serait une erreur de croire que cette pratique soit étrangère à l'économie sacramentelle de l’Église. En réalité, ce que l’on appelle la "communion spirituelle" n’aurait pas de sens en dehors de l'économie sacramentelle. C’est une forme de participation à l’eucharistie qui est offerte à tous les fidèles et elle est adaptée à la démarche de ceux qui se trouvent dans un état déterminé dans une condition de vie particulière. Comprise de cette manière, cette pratique renforce le sens de la vie sacramentelle.

Une pratique analogue pourrait également être proposée de manière plus systématique en ce qui concerne le sacrement de la réconciliation. Dans les cas où il n’est pas possible de recevoir l'absolution sacramentelle, il sera utile de promouvoir certaines pratiques qui sont considérées – y compris par la Sainte Écriture – comme particulièrement adaptées à l’expression de la pénitence et de la demande de pardon ainsi qu’à favoriser la vertu de repentir (cf. 1 Pt 4, 7-9). Je pense surtout aux œuvres de charité, à la lecture de la Parole de Dieu et aux pèlerinages. S’ils sont appropriés, ces gestes pourraient être accompagnés par des rencontres régulières avec un prêtre pour discuter de la démarche de foi de chacun. Ces gestes peuvent exprimer le désir de changer et de demander pardon à Dieu en attendant que la situation personnelle évolue de telle sorte qu’il soit possible de s’approcher du sacrement de la réconciliation et de celui de l’eucharistie.

Enfin je voudrais rappeler, en me référant à mon expérience de pasteur, qu’il n’est pas impossible de proposer à ces fidèles, dans des conditions déterminées et avec un suivi adapté, “l’engagement de vivre dans une complète continence", comme saint Jean-Paul II l’a indiqué, “c’est-à-dire de s’abstenir des actes qui sont propres aux époux". Je peux dire, après de nombreuses années de ministère épiscopal, qu’il s’agit là d’un parcours qui comporte un sacrifice mais aussi de la joie et que la grâce de Dieu rend vraiment réalisable. J’ai eu l’occasion de réadmettre à la communion sacramentelle des catholiques divorcés et remariés qui en étaient arrivés à prendre cette décision après mûre réflexion.

L’expérience pastorale nous enseigne également que ces formes de participation à l'économie sacramentelle ne sont pas purement et simplement des palliatifs. Elles sont plutôt, du point de vue de la conversion qui est une caractéristique de la vie chrétienne, une source constante de paix.


Cas de nullité du mariage

En conclusion, nous devons prendre en considération la situation des personnes qui croient en conscience que leur mariage n’est pas valide. Ce que nous avons dit jusqu’à maintenant à propos de la différence sexuelle et de la relation intrinsèque qui existe entre le mariage et l’eucharistie invite à réfléchir de manière approfondie aux problèmes qui sont liés aux déclarations de nullité des mariages. Dans les cas où la nécessité se fait sentir et où les époux demandent l'annulation, il devient essentiel de vérifier de manière rigoureuse si le mariage était valide et par conséquent indissoluble.

Ce n’est pas ici le lieu de répéter les recommandations raisonnables qui ont été trouvées dans les réponses données au questionnaire inséré dans l'"Instrumentum laboris" et qui concernent l'approche nécessairement pastorale que demande cet ensemble de problèmes. Nous savons très bien à quel point il est difficile pour les personnes concernées de réfléchir à leur passé, qui est marqué par une souffrance profonde. À ce niveau aussi, on entrevoit combien il est important de concevoir la doctrine et le droit canonique comme une unité.

Sacrement du mariage et foi

Nous devons rappeler que, au nombre des questions dont il est nécessaire de poursuivre l’examen, il y a celle de la relation entre la foi et le sacrement du mariage, que Benoît XVI a traitée à de nombreuses reprises, y compris à la fin de son pontificat.

En effet, l’importance de la foi pour la validité du sacrement est l’une des questions que la situation culturelle actuelle, surtout en Occident, nous oblige à examiner très attentivement. Actuellement, au moins dans certains contextes, on ne peut pas considérer comme acquis que les époux qui célèbrent leur mariage aient l’intention de “faire ce que l’Église veut faire”. Un manque de foi pourrait aboutir, aujourd’hui, à l’exclusion du bien même du mariage. Il est impossible d’exprimer un jugement définitif à propos de la foi d’une personne, mais nous ne pouvons pas nier qu’un minimum de foi soit nécessaire, parce que sans lui le sacrement du mariage ne serait pas valide.

Une suggestion

En second lieu, comme l’indique également l'"Instrumentum laboris", il est à souhaiter que l’on parvienne à trouver un moyen quelconque de rendre les procès en nullité plus rapides – tout en respectant pleinement toutes les procédures nécessaires – et de rendre plus évidente la nature intimement pastorale de ces procès.

En application de cette idée générale, la prochaine assemblée extraordinaire pourrait suggérer au pape de valoriser davantage le ministère de l’évêque. Elle pourrait notamment lui suggérer d’examiner la faisabilité de la proposition suivante, qui est certainement complexe : créer une procédure canonique non judiciaire dans laquelle l’arbitre final serait non pas un juge ou un collège de juges, mais plutôt l’évêque ou un délégué de celui-ci.

Ce que j’entends par là, c’est une procédure qui serait régie par une loi de l’Église et qui ferait appel à des méthodes bien établies de collecte et d’évaluation des preuves. Des exemples de procédures administratives déjà prévues actuellement par le droit canonique sont donnés par les procédures mises en œuvre en cas de dissolution d’un mariage pour cause de non-consommation (canons 1697-1706) ou pour des motifs de foi (canons 1143-50), ou encore par les procédures administratives pénales (canon 1720).

Par hypothèse, on pourrait explorer le recours aux options suivantes : la présence, dans chaque diocèse ou groupe de petits diocèses, d’un service de conseil qui serait destiné aux catholiques ayant des doutes à propos de la validité de leur mariage. Ce service pourrait constituer le point de départ d’un processus canonique visant à évaluer la validité du lien, mené par un responsable nommé à cet effet (avec l’aide de personnel qualifié comme les notaires demandés par le droit canonique). Ce processus ferait preuve de rigueur dans la collecte des preuves, qui seraient transmises à l’évêque en même temps que l’avis du responsable, celui du défenseur du lien et celui d’une personne chargée d’assister le demandeur. L’évêque (qui pourrait également confier cette responsabilité à une autre personne, avec délégation de pouvoirs) serait appelé à décider si le mariage est ou non nul (et il pourrait, avant de donner son avis, consulter divers experts). L’un ou l’autre des époux aurait toujours la possibilité de faire appel de cette décision auprès du Saint-Siège.

Cette proposition ne se présente pas comme un expédient qui permettrait de résoudre la délicate situation des divorcés remariés. Elle a plutôt comme objectif de rendre plus évident le lien qui existe entre la doctrine, la pastorale et le droit canonique. […]

Articles les plus consultés