Euthanasie, soins palliatifs, vulnérabilité et accompagnement spirituel : Mgr d'Ornellas fait le point

Les sujets de l’euthanasie et de la fin de vie reviennent dans l’actualité à l’occasion du débat prévu au Parlement ces prochaines semaines sur une amélioration de la loi Léonetti. Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes et président du groupe de travail des évêques sur la bioéthique en 2010, publie dans Église en Finistère un interview où il revient sur les questions centrales de ce débat. 
Église en Finistère : Mgr d’Ornellas, alors que le gouvernement prévoit d’étudier ce sujet en décembre lors des États généraux, pouvez-vous nous rappeler les enjeux de cette question qui touche à la situation des personnes en fin de vie et de leurs proches ?
Mgr Pierre d’Ornellas : Le principal enjeu concerne le soin palliatif. Le Rapport Sicard montre qu’il ne s’agit pas d’aller vers les soins palliatifs uniquement quand la médecine ne peut plus rien. On passerait alors d’un échec face à la maladie, à des soins pour ne pas souffrir. Actuellement, la prise en charge des soins palliatifs n’est possible que pendant trois semaines.
Ne peut-on pas envisager une médecine palliative prenant soin de la personne, qui commence en même temps que la médecine curative, qui soigne la maladie ? La démarche palliative doit être davantage connue et enseignée.


É. F. : Comment comprendre que beaucoup de français sont plutôt favorables à l’euthanasie ?
Mgr d’Ornellas : Les Français ignorent leurs droits face à leur maladie et à leur fin de vie. Du coup, ils ont peur de souffrir, de mal mourir. Or, la loi permet un accompagnement de qualité sans acharnement thérapeutique et sans douleurs. Mais elle n’est pas assez connue.
Le résultat des sondages dépend aussi des questions posées. Personne ne souhaite souffrir, ou voir un membre de sa famille souffrir ! Et heureusement ! Dans le fond, les Français sont favorables à la « bonne mort » – c’est le premier sens du mot « eu-thanasie » – et au pilier de la société : tu ne tueras pas.
É. F. : De quels droits parlez-vous ?
Mgr d’Ornellas : Précisément, du droit de demander de ne pas souffrir, ce que la science rend pratiquement toujours possible, en allant peut-être jusqu’à administrer, si cela est vraiment nécessaire, une sédation en phase terminale, sans que cela soit contraire au respect de la vie et de la dignité du malade, car cet acte médical, loin de vouloir la mort, veut apaiser la douleur, tout en sachant qu’il amoindrit les capacités de résistance de l’organisme à la maladie ainsi que le niveau de conscience.
On peut demander l’arrêt de traitements disproportionnés ou refuser qu’on les commence, rédiger des directives anticipées, en pouvant en changer à tout moment, et désigner une personne de confiance s’exprimant au nom du malade quand il ne le pourra plus. Il y a le droit à bénéficier d’une décision médicale collégiale où son médecin traitant n’est pas absent, et d’un accompagnement spirituel selon son culte. Et surtout le droit d’être considéré, dans sa vulnérabilité, comme une personne à part entière.
É. F. : Sur la vulnérabilité, vous avez proposé un regard d’espérance quand vous avez dit lors d’une veillée pour la vie : « Voir dans la fragilité d’un visage abîmé… la beauté de la vie. »
Mgr d’Ornellas : Oui, nous sommes vulnérables. Notre conception, notre gestation et notre naissance sont entourées d’une incroyable vulnérabilité. Bien des personnes connaissent la vulnérabilité durant leur existence. Et bien sûr, notre vieillesse et nos dernières heures sont souvent des moments de grande vulnérabilité.
Or, c’est là qu’apparaît le plus la dignité de la personne, car le paraître y est impossible. On ne peut se cacher derrière des qualités, de l’avoir ou de la puissance. On est obligé d’être tel que l’on est, d’y consentir librement, d’être soi-même. À celui qui sait voir, c’est-à-dire au cœur qui aime, apparaît alors la beauté de la personne qui, en toute simplicité et sincérité, s’offre à nos regards.
É. F. : Quel sens donner à la fin de vie, alors que ces personnes souffrent et que leurs proches touchent de près à la mort ?
Mgr d’Ornellas : La fin de vie est le temps par excellence de l’accompagnement vécu entre deux personnes, l’une qui sait ou qui a peu à peu à apprendre qu’elle va mourir, l’autre qui est à ses côtés. L’une souffre. L’autre vit la compassion. Bien sûr, l’accompagnement se joue entre d’autres acteurs : famille, amis, personnels soignants, aumônerie…
La souffrance physique peut être apaisée, mais il reste la souffrance morale. Là, l’accompagnement est essentiel pour réconcilier la personne avec des proches, avec certains événements de sa vie, avec elle-même. La conscience morale est une lumière sur la vie passée, sur le bien et le mal commis. Parfois, des pardons sont nécessaires.
Vivre la compassion signifie d’une part, la capacité d’entendre cette souffrance, de l’accueillir, de la comprendre, et, d’autre part, la recherche des gestes à poser, des paroles à dire, des rencontres à ménager, des prières à proposer, des sacrements à vivre, pour que vienne la paix, plus forte que l’angoisse devant la mort. Celle-ci est normale. Jésus l’a connue, plus que nous ! Il faut savoir l’accueillir.
É. F. : Comment ?
Mgr d’Ornellas : Elle peut être apaisée par la médecine. Cependant, être fidèlement présent et donner le sens vrai de la mort, tout cela avec douceur, sont essentiels pour que la paix naisse dans le cœur. « La paix soit avec vous », dit Jésus. Nous sommes faits pour la vie et la vérité.
La constitution Gaudium et spes de Vatican II précise qu’un « germe d’éternité » habite le cœur humain, et que l’homme « s’insurge » contre la mort. Celle-ci paraît absurde face à son désir de vie et de bonheur. Le suicide est souvent un cri manifestant l’impossibilité ressentie de vivre heureux.
Au cours des siècles, des penseurs ont affirmé l’immortalité du principe de vie en l’homme. Oui, l’âme est immortelle ! C’est pourquoi, la mort n’est pas une « fin de vie », mais un « passage » : la vie continue, mais sans le corps. Nous avons du mal à entrer en relation avec quelqu’un qui est esprit. C’est pourquoi, nous gardons l’impression cruelle que la mort est la fin.
É. F. : Et le sentiment d’inutilité que ressentent des personnes âgées vulnérables ?
Mgr d’Ornellas : Ce sentiment ronge. Il engendre le désespoir. Il est dû à la solitude, et aux messages diffusés dans l’opinion publique, qui laissent croire aux personnes vulnérables qu’elles sont de trop, qu’elles coûtent cher. J’ai aidé les chrétiens du diocèse de Rennes à donner une mission aux personnes âgées et aux malades.
L’accompagnement vécu avec amour efface ce sentiment d’inutilité. Je me souviens d’une directrice d’Ephad manifestant une belle délicatesse, empreinte d’amour, pour les résidents : elle a de la joie à être avec elles, et celles-ci sont heureuses. Une autre cherchait avec chaque personne son projet de vie. Oui, une personne âgée, même désorientée, a besoin d’être aimée, et peut donner beaucoup d’amour … et de joie.
É. F. : L’espérance de la vie éternelle change le regard sur la mort, mais comment parler de cela aux personnes en fin de vie ? Et notamment aux non croyants ?
Mgr d’Ornellas : La foi chrétienne est une fenêtre sur la « vie éternelle ». Celle-ci est don de Dieu et salut en Jésus-Christ. Elle est communion avec Dieu qui est éternel. Éternel ne signifie pas le temps qui dure, au risque de s’embêter, mais la manière divine de vivre. Or, Dieu est amour. C’est pourquoi saint Paul s’exclame : « L’amour ne disparaît jamais ! »
La mort est la transfiguration de l’amour vrai sur terre. Plus ou moins bien vécu, cet amour est purifié. Non seulement, Dieu pardonne le mal, mais il rend l’amour vécu lumineux et pur. Voilà l’éternelle beauté des défunts ! Telle est notre espérance chrétienne. L’athée ou l’agnostique peut reconnaître la valeur inaltérable de l’amour vrai.
Comme tout homme, au fond de lui, il s’insurge contre le néant. Dans cet accompagnement, l’hypocrisie n’a pas sa place, ni la tricherie avec sa conscience. Ni chez la personne malade, ni chez l’accompagnateur qui, lui aussi, est souvent mis en face de sa propre mort quand il entend l’accompagné exprimer ses sentiments, sa révolte, ses interrogations ou son abandon.
Le chrétien sait que Dieu accueille en son amour chaque personne qui regrette son mal, qui a aimé en vérité, ne serait-ce qu’un peu, y compris la personne qui s’est donné la mort. Dieu, Sauveur, est infiniment bon ! On ne le dira jamais assez. Si notre accompagnement reflète cette bonté, alors il donne paix, espérance et joie intérieure.
source : Diocèse de Rennes

Pour aller + loin  :



Articles les plus consultés